Le Manoir de Gawel2

Bettym rêvait à son prince charmant quand elle le vit lui tapait sur le ventre. Elle grimaça et essayait de l'arrêter mais rien n'y faisait. Elle se redressa d'un coup et ouvrit les yeux mais les coups continuaient.

Elle regarda autour d'elle et comprit qu'elle venait de cauchemarder. Elle passa sa main sur son bidon pour essayer de calmer l'assaut des coups de pieds répétés.

Petit bout, calme toi, s'il te plaît ! Là, là ! Tout doux...

Enfin rassuré, le bébé semblait avoir trouvé une bonne position et ne bougeait plus. Elle put souffler un peu.

Le soleil commençait à disparaître derrière les champs qu'elle voyait de la fenêtre de la chambre. Elle eut un moment de panique... Quelle heure peut-il bien être, pensa-t-elle. Elle se laissa glisser pour faire le moins d'effort possible pour se lever. Une fois les pieds au sol, elle put se lever sans difficulté.

Elle se dirigea vers l'armoire afin de trouver de quoi s'habiller pour le mariage de sa soeur. Elle chercha et essaya mais plus rien ne semblait lui aller. Elle désespérait... Je ne serai jamais prête pour la cérémonie, n'arrêtait-elle pas de se dire. Et Lilou dans quel état elle doit être aussi...

Elle tomba enfin sur une robe de couleur bleu et or. Elle lui allait comme un gant. Son soulagement fut énorme. Cependant, son époux n'était pas là. Ni une ni deux, elle prit la direction de l'église en espérant le rencontrer sur le trajet du manoir au lieu de culte...

Toute la petite famille rentra, ce soir là, assez tard de Clermont. Ils avaient appris par hasard qu'une messe était donnée en l'honneur de la grande dame qu'était Jojolasage et il était important aux yeux du couple d'être présents pour représenter Moulins dont elle était originaire.

La petite Loreleï avait dormi tout le long du trajet et durant la cérémonie mais la faim commençait à la tenailler et se mit à pleurer. Gawel essayait de calmer ce petit bout de chou le temps que Bettym s'installe avec tout ce qu'il fallait pour la changer et la nourrir.

Elle tendit les bras pour prendre son nouvel amour et la déposa sur la table du salon où elle avait mis une couverture bien chaude. Elle changea les langes souillées et lui en remit de nouvelles. Son époux se mit auprès d'elles et tint la petite Loreleï le temps que Bettym déboutonna sa chemise. Une fois prête, elle porta sa fille jusqu'à son sein qu'elle lui offrit. Le bébé attrappa le mamelon qu'elle aspira goulûment.

Une fois rassasiée, elle s'endormit presque aussitôt après un petit rot. Bettym la regardait tendrement et n'osait bouger de peur qu'elle ne se réveille. Quand à Gawel, il les embrassa toutes les deux avant de sortir du manoir pour aller faire ses dernières rondes.

La jeune maréchale se décida enfin à se lever pour se rendre dans leur chambre et déposer Loreleï dans son berceau. Quand à elle, elle alla se préparer pour la nuit et revint quelques minutes plus tard. Elle regarda une dernière fois sa fille avant de se glisser dans les draps pour une bonne nuit de sommeil... enfin l'espérait-elle.

Un pigeon arriva, il semblait venir de loin. Il resta sur le rebord de la fenêtre, cognant le carreau avec son bec. Il portait un message qui disait ceci:

Citation :

Chère Bettym, cher Gawel,

je viens d'apprendre la bonne nouvelle. Je vous envoie tous mes voeux de bonheur et de longue vie à votre chère petite fille. Je suis sure que vous devez être fous de joie, et fatigués aussi (les nuits sont probablement assez courtes ces temps ci )
Je compte sur vous pour profiter de chaque minute passée avec ce petit bout comme il se doit.
J'espère que nous pourrons passer voir Lorelei bientôt. Nous vous tiendrons au courant.
Je vous embrasse de tout mon coeur,
sincèrement, Rapsody

Cela faisait quelques jours qu'elle n'était retournée chez eux, depuis le départ de Gawel. Elle avait décidé quelques jours auparavant de partir chez sa soeur afin de ne pas rentrer tous les soirs dans une maison vide et froide qui lui rappellerait sans cesse son amour absent.

Ce fut la gorge nouée qu'elle passa toutefois au manoir. Elle avait quelques documents à aller chercher et avait tout fait pour retarder cette venue mais l'importance de ses papiers n'avait cure des états d'âme de la maréchale.

Plus elle s'approchait, plus elle sentait son coeur battre la chamade. Elle l'imaginait, là au coin du feu pour lui faire une surprise. L'attendant, sourire aux lèvres, un verre de vin à la main et quelques dossiers épars sur la petite table qu'il avait confectionnée afin que des pique-niques en tête à tête puissent se faire. Ces images la firent sourire.

Quand elle entendit un roucoulement, elle s'aperçut qu'elle était face une porte close, sans aucune châleur.

Que tu es sotte ma pauvre fille ! Ton Prince est à Thiers en ce moment-même. s'injuria-t-elle intérieurement.

Elle attrapa machinalement le pauvre volatile et prit le pli qu'il portait. Elle le déroula immédiatement... et son visage rayonnait. Le soleil de Guyenne avait traversé les monts d'Auvergne et la châleur remplit son coeur.

Une phrase ne faisait que danser devant ses yeux "J'espère que nous pourrons passer voir Lorelei bientôt." Qu'est-ce que cela pouvait bien vouloir dire ? Allaient-ils revenir à Moulins ? Elle l'espérait de tout coeur.

Elle entra vite dans la demeure, alla chercher les dossiers qui lui faisaient défaut et continua sa route tout en lisant et relisant le courrier de ses Parrain et Marraine par alliance.

Un pigeon arriva en ce matin bien brumeux porteur d'une missive qui avait traversé bien des contrées...

Citation :

Chère Bettym, cher Gawel,

je vous écris afin de vous prévenir que nous avons repris la route avec Cyprien...Et oui, nous revenons à Moulins. Cyprien ne se sentait pas à son aise loin de Moulins...Je n'ai pas beaucoup de temps pour écrire, ce départ étant un peu précipité et loin d'avoir été organisé de longue date! Je ne sais pas combien de temps nous mettrons pour faire la route. Nous sommes à cheval et avons des provisions. Notre maison est elle toujours en état? Puis je te demander de vérifier avant notre arrivée? Sinon, nous irons à l'auberge en attendant.
A très bientôt. Nous vous embrassons tous et toutes très fort.
Rapsody

Bettym était rentrée fourbue de sa garde. Quand elle arriva devant le manoir, elle trouva la maison plongée dans le noir comme presque tous les jours depuis maintenant un bon moment.

Elle se sentait mal et fautive. Elle avait le sentiment de ne profiter ni de Loreleï, ni de son époux qu'elle aimait plus que tout. Elle avait l'impression de passer à côté de tout.

Certes, Loreleï était en grande partie avec elle mais, son travail l'accaparait énormément et elle avait l'impression d'être plus un garde-manger ambulant qu'une maman aimante et profitant de la moindre évolution de son enfant.

Quand à son Prince, ils se croisaient sans cesse et quand ils avaient l'occasion de se voir, ce n'était en grande partie que pour se reprocher que l'autre travaillait beaucoup trop.

Elle aimerait tellement que tout ce passe dans l'harmonie. Qu'il forme une famille remplie de joie et de bonheur uniquement. L'amour était là mais ils n'arrivaient pas à en profiter.

Mais comment vais-je réussir à tout concilier ? A trouver un moment à nous ? M'aime-t-il encore ? Me pardonnera-t-il après la dispute que nous venons d'avoir ?, pensa-t-elle.

Alors qu'elle était perdue dans ses tortures mentales, elle entendit le roucoulement d'un pigeon picorant dans la mangeoire laissée à cet effet. Elle le regarda, pensant qu'il s'agissait d'un des siens qui attendait bêtement d'être utile et se vit un ruban à la patte. Elle s'en approcha et détacha le mot dont il était porteur.

Son coeur se mit à battre à toute allure quand elle s'aperçut qu'il s'agissait d'un mot de Rapsody et de son parrain.

Ils vont revenir... Ils vont revenir...

Elle entra dans le manoir sans prendre aucune précaution comme à son habitude et se dirigea vers la chambre où elle était sûre de voir son époux. Elle sauta sur le lit et le secoua gentillement.

Mon coeur... mon coeur, réveille-toi. Vite... Allez, arrête de dormir c'est l'heure...

Elle était tellement heureuse de la nouvelle qu'il fallait qu'elle la partage avec son époux. Gawel émergeait difficilement de son sommeil et la regardait d'un air hébété. Le temps qu'il se rappelle où il se trouvait, elle se dirigea vers le berceau et alla voir sa fille qui commençait à se réveiller.

Avant même de lui laisser le temps de réagir, elle prit sa fille dans les bras et l'embrassa partout pour lui dire bonjour. Elle était aux anges et avait bien l'intention de le partager.

Mon petit ange, ils vont arriver...

Elle tournait autour d'elle-même, riant. Ni Loreleï ni Gawel ne semblaient comprendre qu'il se passait.

Bettym, toujours en effervescence, faisait des câlins et des bisous à sa fille quand elle vit son époux se jeter au bas du lit et s'habiller à toute vitesse. Elle arrêta net de bisouiller Loreleï et regarda Gawel, stupéfaite de tant d'énergie au réveil.

Mais... mais... qu'est-ce que tu fais ? Les Bérichons ? mais... pourquoi tu me parles des voisins ?

Son époux ne semblait pas l'écouter et continuait à chercher partout ses affaires. Elle s'approcha calmement de lui se demandant s'il était bien réveillé et s'il n'avait pas une crise de somnambulisme. Elle lui caressa le visage et quand il la regarda...

Mon coeur, nous ne sommes pas attaqués... C'est que... elle rougit d'avoir effrayé son prince et n'osait plus lui dire la raison du reveil si volubile. C'est juste que... Gawel commençait à s'impatienter et la forçait à continuer. Rho ça va ! dit-elle légèrement agacée puis se radoucit. J'y vais... tu es prêt ?

Sur le coup, elle sentit que Gawel allait s'énerver à son tour donc elle lui déballa d'un traite...

Cyprien et Rapsody sont de retour.

Elle reprit son souffle avant de lui sourire. Elle regarda son époux qui ne semblait pas avoir percuté ce qu'elle venait de lui dire alors que Loreleï commençait à s'impatienter. C'était son heure.

Alors elle alla dans la salle d'eau pour lui préparer un petit bain puis revint dans la chambre, le silence l'inquiétait. Sur le seuil de la pièce de nuit, elle resta bouche bée, quand elle vit son amour, à nouveau dans les draps, sommeillant.

Affairée dans la cuisine, sa fille allongée sur une peau en plein passage afin de la préserver de tout danger, Bettym crut entendre un "toc toc" à la porte. Etonnée, elle prit Loreleï aux bras, alla jusqu'à l'entrée et ouvrit la porte sur...

C'est toi ! Je ne rêve pas ! dit-elle, trop heureuse de voir son amie. Mais entre vite et viens te réchauffer.

Puis, elle marqua un temps d'arrêt avant de refermer la porte derrière Rapsody.

Parrain t'a laissée te promener seule en ce début de soirée ? lui dit-elle un peu taquine, tout en l'embrassant. Tu viens au salon ? Nous serons plus tranquille. Mais au fait... je ne t'ai pas présenté mon bout de chou. Voici Loreleï, la merveille de notre vie. Elle montra sa fille comme si c'était un trophée, fière d'avoir pu engendrer un tel amour d'enfant.

Alors, raconte moi tout... Votre décision de revenir, votre voyage, votre arrivée...

Elle était tellement heureuse qu'elle n'arrêtait pas de poser questions sur questions. S'en rendant compte, elle se tut et sourit timidement à la fiancée de son parrain.

Excuse moi, je ne te laisse même pas arriver que je te harcèle de questions.

Rapsody était à peine rentrée chez Bettym qu'elle se vit assaillir de questions. Cela ne l'étonnait pas de son amie, elle avait toujours été ainsi. Que ça faisait du bien de la retrouver...
Elle se pencha vers ce petit bout de chou qui la regardait de ses grands yeux tout curieux. Elle était magnifique, et avait déjà hérité de la malice de sa maman. Elle ne savait plus qui était la plus heureuse des deux: Loreleï, fièrement accrochée à la taille de sa mère, ou Bettym, de pouvoir lui présenter sa petite merveille.

Bonjour Loreleï, lui dit elle en s'approchant de son visage. Je m'appelle Rapsody et je suis ravie de pouvoir enfin faire ta connaissance. Elle laissa son visage à portée des mains de la petite, qui ne tarda pas à les poser sur les joues de Rapsody afin de mieux la découvrir. Elle avait des gestes très posés, et Rapsody se mit à fondre quand elle sentit les petits doigts de la princesse lui caresser le front. Un petit ange qui découvrait le monde...

En se relevant, elle embrassa Bettym, très émue d'être de retour à Moulins, puis déballa sa besace, d'où elle sortit un petit paquet pour Loreleï.
Tiens Bettym, je te le donne, c'est pour ta fille...un petit cadeau que nous avons trouvé en route pour elle. J'espère que ça lui ira, en tout cas, nous avons craqué dessus!! Il s'agissait d'une robe pour l'hiver, avec un bonnet assorti, sur lesquels étaient brodées tout une ribambelle de fleurs de toutes les couleurs. Dans le bonnet, il y avait également une paire de chaussons en laine assortis.

Rapsody ne savait par où démarrer, et en fait, elle se sentait un peu fatiguée pour entamer ce soir une grande discussion...

Tu sais, finit elle par dire, sans rentrer dans les détails, Cyprien a ressenti un manque là bas, et il s'est dit que peut être revenir ici comblerait ce manque...Alors nous revoilà!! Nous n'étions pas malheureux à Montauban, mais bon...Tu en parleras avec lui directement.
Et sinon, oui, il me laisse sortir seule en ce début de soirée, même si ça ne lui plait pas forcément ; en fait, nous étions sur la colline et après avoir déposé les chevaux dans l'étable derrière la maison, je l'ai laissé aller s'inscrire à l'université et prospecter pour reconstruire notre échoppe. Rappelle toi, nous avions tout abandonné. Seules nos terres, sont restées, il ne reste plus qu'à les labourer de nouveau.
Je l'attends pour rentrer chez nous, et je me suis dit que dans l'intervalle, j'allais vite passer vous voir avant de défaire nos valises. Je me suis jurée de ne passer le seuil de chez nous qu'avec lui et non toute seule en éclaireuse.

Il se fait tard, je vais retourner vers la maison. Il faut desseller les chevaux et leur donner à manger, je ferai cela en attendant qu'il arrive. les pauvres, ils ont beaucoup marché ces derniers jours.

Je vous laisse, ça m'a fait plaisir de vous voir ce soir. J'en suis encore toute émue...Je repasserai vous rendre visite dès que nous serons plus à notre aise. Et puis il faudra que tu vois Cyprien! Depuis le temps....
Elle embrassa Bettym et Loreleï, puis repartit d'où elle était venue d'un pas rapide tandis que la nuit était déjà tombée.

Loreleï était toute émoustillée de voir un nouveau visage.

Lorsque Rapsody se présenta au bébé, l'enfant se mit à babiller comme pour dire "Bonjour... Tu veux être mon amie ?". La sérénité et la douceur qui émanaient de l'invitée avaient vite fait de conquérir la curiosité de l'enfant qui cherchait le contact à tout prix. L'émotion gagnait de plus en plus la pièce ; la joie de se retrouver, le contact enfantin, le retour au bercail... Les jeunes femmes étaient aux bords des larmes.

Ce fut à ce moment que son amie sortit un présent pour Loreleï que la jeune maman s'empressa de regarder.

C'est magnifique Rapsody, merci. Mais vous n'auriez pas dû... Regarde ma puce comme c'est joli toutes ses petites fleurs. Elle embrassa de plus belle la jeune femme. Je lui mettrai pour la prochaine messe. Elle sera la plus belle des petites filles. Si vous commencez à gâter mon petit amour comme ça...

Le visage de Bettym arborait un large sourire. La jeune maman invita Rapsody jusqu'au salon où elles s'installèrent alors que Loreleï évoluait au sol sur une belle peau de mouton laineuse. Après avoir servi de quoi boire, Rapsody commença à raconter un peu son périple et sa vie en Guyenne. Bettym, quant à elle, l'écoutait attentivement.

La fatigue se lisait sur le visage de la voyageuse et l'hôtesse ne fut guère étonnée qu'elle abrège cette visite.

Oui tu as raison. La nuit est tombée et il serait temps que tu rentres. Ce n'est pas le moment d'attraper mal. Sans compter que tu as tant de choses à faire avant de profiter de ta maison. Si tu veux, je passerai t'aider demain comme cela tu ne pourras très vite profiter de ton chez-toi. Et puis je pourrais voir et embêter mon parrain quand il rentrera, fit-elle avec un clin d'oeil.

A cette dernière réflexion, Bettym sourit et comme pour avoir confirmation, elle regarda sa fille.

Pas vrai ma puce ? Nous irons faire enrager Cyprien ?

Le bébé, heureux de voir qu'on ne l'avait pas oublié fit des sourires à n'en plus finir et gigotait en tout sens. La jeune maman prit son enfant au bras avant de raccompagner Rapsody.

Au revoir et à très bientôt. Embrasse Parrain de notre part. Elles lui envoyèrent un baiser de la main mais déjà l'invitée était au bout du chemin.