Moulins. Enfin.
Ces quatre derniers jours, durant lesquels il avait parcouru la distance séparant Joinville de son village, lui avait paru bien plus long que tout le reste de son errance à travers le royaume. Depuis le moment où il avait définitivement pris la décision de revenir, il n’avait plus eu que cette idée en tête. Revoir Moulins. Ses murailles, ses maisonnettes… ses habitants. Ses amis. C’est seulement alors qu’il avait ressenti pleinement le manque immense qu’avait creusé en lui, insidieusement, cet éloignement qu’il s’était infligé.
Mais ce chemin parcouru avait aussi été nécessaire. Son voyage avait surtout été intérieur. Une manière d’aérer son esprit, d’y remettre un peu d’ordre après tous les évènements vécus ces derniers mois. Un cheminement dont une des étapes ultimes avait eu lieu à Joinville. Il avait alors su qu’il était temps qu’il rentre. Et avant de descendre sur la place du marché, avant d’aller pousser la porte d’une taverne et d’y découvrir, peut être, les visages amis, il y avait une dernière épreuve à franchir. Une dernière visite symbolique, pour boucler la boucle, et mettre fin à une partie de ses tourments.
Le vide serait toujours là, immense et douloureux. Cependant, le doute terrible qui n’avait cessé de le ronger depuis ce jour maudit, à Varennes, où il s’était brisé les poings sur le tronc d’un chêne, s’était enfin évaporé dans les geôles de Joinville. Et il pouvait, enfin, poursuivre son chemin propre. Chercher un nouvel horizon, peut être. Garder d’elle ce qui les avait rendus si heureux, le temps d’une parenthèse délicieuse à la fin si brutale et déchirante.
Ils étaient arrivés très tôt, alors que le soleil naissait à peine à l’horizon. Il avait laissé Ange et ses autres compagnons de route pour prendre la direction de l’église.
L’église. Jamais il n’avait passé les portes de l’église Saint Xavier de Moulins. D’aucuns diront qu’en tant que maire, il aurait du le faire. Bah, qu’importe… Il avait mené ses mandats du mieux qu’il l’avait pu pour le bien des Moulinois, en espérant ne pas faire fausse route. Et il n’était pas venu jusqu’ici, avant tout autre lieu le jour de son retour, pour passer les portes de l’édifice religieux. Non, il était venu directement ici pour elle.
Arthur contourna l’église et entra dans le cimetière, accompagné de la fraîcheur de ce petit matin. Il passa devant plusieurs tombes, de personnes connues ou inconnues, aimées parfois. Des Moulinois qu’il avait côtoyés, de près ou de loin, ou dont il avait entendu parler par les plus anciens.
Et la sienne. Ce morceau de pierre absurde, posé là sur cette terre qu’elle avait tant chérie.
Apolonie…
Léger tremblement dans la voix. Il n’y avait pas si longtemps qu’il avait pu, enfin, prononcer à nouveau son nom. Et moins de temps encore qu’il était parvenu à parler d’elle à peu près sereinement.
Mon horizon, je suis rentré. J’ai fait ce long voyage que nous avions prévu de faire ensemble. J’ai accompagné Marie Alice quelques semaines. J’ai aperçu Gaspard. Il grandit, et… il te ressemble tellement. Marie en prend soin, et il n’aurait nulle part été mieux qu’avec elle, entouré de Maeve, Aleanore et Gabrielle.
Petit mouvement de la main pour effleurer sa pommette gauche, toujours tuméfiée. Sans doute infectée, d’ailleurs. Il avait chevauché sans relâche et n’avait pas vraiment pris soin de la blessure. Il faudrait qu’il passe voir Lili assez vite.
J’ai récolté ça… Tu dois savoir comment. Si Legowen a raison, tu veilles sur nous à présent, alors tu as dû y assister. J’en avais besoin pour… pour enfin me débarrasser de ce doute qui me dévorait de l’intérieur.
Je sais désormais, au plus profond de moi, je l’ai enfin accepté. Tu m’as aimé. Malgré lui, malgré la place qu’il occupait. Tu m’as aimé. Et je t’ai aimée, Apolonie mon horizon.
Tu seras pour toujours quelque part au fond de moi, et je n’échangerais pour rien au monde ce que nous avons vécu.
Petit sourire.
Je sais aussi que tu n’aurais pas voulu me voir me morfondre comme je l’ai fait pendant des mois. Mais je crois que c’était une sorte de… passage nécessaire. Pour comprendre que poursuivre mon chemin ne signifiait pas t’oublier. Que même si c’est dur, terriblement dur, il me faut continuer. Pour Ili, pour mes amis, pour tous ceux auxquels je tiens. Et qui tiennent à moi, comme ils me l’ont tant montré ces derniers mois.
Silence. Il était temps, désormais. Temps d’aller retrouver les autres. Ili, qui lui avait tellement manqué. Lilou et Grid. Lili et Frangor. Amandine et Cruzzi. Moiraine. Ninon. Bettym, peut être. Orckis… Et tous les autres.
Je viendrais, de temps en temps. Tu dois en sourire, où que tu sois. Tu dois te dire que ça ne sert pas à grand-chose, que c’est idiot de venir parler à un morceau de pierre. Mais ce n’est pas grave. Tu sais que je suis un peu idiot, parfois.
Un léger souffle de vent.
Au revoir, Apolonie. Au revoir…
Un dernier regard. Une légère sensation de brûlure au niveau de sa pommette. Diable… depuis combien de temps pleure-t-il ? Esquisse de sourire, avant de reprendre son chemin.
Sous ses pas, les graviers qui ornaient l’allée du cimetière crissaient légèrement. Une légère brise l’accompagnait, comme pour lui donner le courage qui risquait à tout instant de lui manquer. Son voyage était terminé. Il était rentré chez lui, enfin. Une paix, étrange, s’était installée en lui, une paix qui lui permettait de savoir, pour la première fois depuis si longtemps, qu’il pourrait vraiment continuer. Et qu’elle serait toujours là, à ses côtés, malgré son absence si douloureuse.
Arthur passa la grille du cimetière. Devant lui, Moulins s’éveillait.